Interview Pr Bey – La formation par simulation, une solution à l’amélioration de la qualité des soins en Afrique.

“Jamais la première fois sur le patient” ! C’est un crédo cher au Pr Pierre Bey. A travers cette interview, il nous révèle comment et pourquoi la simulation nous permet de mieux apprendre même en Médecine.

C3M : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Pr Bey : Je suis professeur émérite (c’est-à-dire à la retraite) de radiothérapie cancérologie de l’université de Lorraine. J’ai aussi exercé des responsabilités de directeur d’hôpital.

J’ai été directeur du centre de lutte contre le cancer à Nancy et directeur de l’hôpital de l’institut Curie à Paris.

Depuis ma retraite, je suis très impliqué dans des actions de soutien à la prise en charge des cancers des enfants en Afrique, en Afrique Francophone et en Afrique subsaharienne pour l’une des tumeurs, le cancer de l’œil.

Je suis revenu habiter Nancy, il y a deux ans et demi, il m’a été demandé de devenir administrateur de l’hôpital virtuel de Lorraine (HVL).

L’HVL est un groupement d’intérêt économique (GIE) qui pratique les formations par la simulation en santé.

Cet hôpital virtuel est une mutualisation de moyens de l’université de Lorraine, de la faculté de médecine, du CHU de Nancy et de l’institut de cancérologie de Lorraine.

C3M : Qu’est-ce que la formation par simulation dans le secteur de la santé ? Vaste sujet…

Pr Bey : Cela répond à un besoin qu’a bien exprimé la Haute Autorité de Santé (HAS) en France.

Il concerne aussi bien la formation initiale des personnels soignants, que la formation continue.

Le concept est simple : « Jamais la première fois sur le patient » !

C’est comme ça qu’a été inventée cette formation par la simulation.

Traditionnellement en médecine, on apprend par compagnonnage, au contact des anciens, des maîtres.

Ils exposent la théorie et la pratique. On est avec eux au début au contact des malades et progressivement, on est lâché tout seul avec les malades.

Donc là la HAS a créé cette notion « de remplacer le malade par quelque chose qui le simule ».

Cela peut être des mannequins, des robots ou des mises en situation.

C’est ce que l’on fait dans l’HVL.

On a donc un apprentissage qui se fait à travers des scénarios.

L’étudiant ou le professionnel de santé qui vient faire de la formation continue est mis en situation.

On étudie comment il se comporte dans cette situation. Ensuite, on débriefe pour voir avec lui tout ce qui a été fait correctement et apporter des axes d’amélioration.

Donc on est, dans une ambiance qui est complètement « déstressée ». On n’a plus cette inquiétude du patient.

Par exemple, quand vous êtes étudiant et que vous faites pour la première fois un acte agressif comme une ponction lombaire, c’est un acte lourd, pas agréable pour le patient ni pour le praticien…

Apprendre ce geste sur un mannequin ça change tout.

L’étudiant répète ce geste. Puis on décrypte a posteriori ce que vous avez fait correctement et ce qu’il faut retravailler.

Finalement, on peut transformer une très grande partie de l’apprentissage en médecine comme ça.

Ce concept est dupliqué jusqu’à la relation avec le patient !

Concrètement, on met en situation des étudiants ou des personnels soignants.

On simule par exemple l’accueil du patient. On travaille sur le comportement avec le patient. Aujourd’hui la technologie nous permet d’avoir des mannequins qui répondent aux questions de l’apprenant.

La technologie aide beaucoup pour vraiment se trouver dans la situation réelle mais avec un « faux » patient.

C’est une façon d’apprendre en se déconnectant de cette inquiétude qu’il peut y avoir du côté patient, mais aussi du côté de celui qui fait des gestes pour la première fois.

Le comportement : comment on se comporte avec certains patients, comment on annonce une mauvaise nouvelle…

Tout est sujet à formation par la simulation dans le domaine de la santé. Cela concerne les médecins, mais pas que : les infirmiers, tous les personnels qui sont en contact avec les patients.

Quel est l’intérêt particulier pour les pays à bas et moyen revenu ?

La particularité de ces pays est d’avoir un nombre très limité de personnel soignant actuellement. Que ce soient des médecins de différentes spécialités ou des infirmiers.

Il y a encore plus qu’ailleurs une nécessité d’utiliser ces compétences au mieux. C’est-à-dire, d’avoir des compétences qui sont parfaitement adaptées à ce qu’on en attend dans la situation particulière où elles se trouvent.

L’idée est d’apporter à des médecins à travers le monde (notamment en Afrique et en Asie) une formation complémentaire en même temps que des installations performantes.

Dans ce cas, nous ne sommes pas dans la formation initiale. On passe dans le registre de la formation continue, c’est-à-dire de la formation complémentaire de médecins déjà formés.

Nous les aidons à acquérir des compétences complémentaires pour répondre à un besoin particulier.

Par exemple, imaginons que l’on crée un hôpital pour lutter contre les maladies infectieuses.

Typiquement, aujourd’hui avec le coronavirus, si on veut aider à la formation de médecins n’ayant pas eu de formation spécifique pour une maladie nouvelle, on peut faire en sorte d’axer toute la formation complémentaire sur ce sujet.

On utilise la formation par la simulation parce qu’on peut la faire à distance.

On peut aussi former des formateurs qui peuvent venir en France se former dans un centre de simulation reconnu comme l’Hôpital Virtuel de Lorraine qui iront sur le terrain pour former les autres membres de l’équipe. Cela ouvre des possibilités très importantes.

Encore une fois, un point éminemment important : il faut toujours d’abord identifier les besoins en formation complémentaire avant de déployer un projet de cette envergure.

C3M : Finalement, ce mode de formation « former un formateur » peut réellement aider à lever les fins de manque de médecins en Afrique et les déserts médicaux.

Pr Bey :

Cela ne va évidemment pas augmenter le nombre de médecins.

Le but est d’orienter et de réorienter les compétences en fonction des besoins du moment ou des besoins sur un projet particulier.

La question des priorités médicales locales est un problème de santé publique qui se discute au cas par cas.

Par exemple, seules les autorités locales peuvent orienter les pédiatres du pays en question vers les pathologies prioritaires, comme le cancer de l’enfant, ou la malnutrition ou les diarrhées infectieuses.

Il y a beaucoup d’urgence dans tous les pays à bas et moyens revenus. On me dit toujours « Est-ce  bien raisonnable de s’intéresser au cancer de l’enfant alors qu’ils vont mourir de malnutrition… ».

Ce n’est pas une raison.

Il faut faire attention aux moyens qu’on mobilise pour atteindre l’objectif.

Mais on peut aussi inverser le raisonnement…On va guérir ces enfants de la malnutrition pour qu’ils meurent d’un cancer qui est hautement curable !

Aujourd’hui, ces cancers infantiles ont la particularité d’être curables dans 80 % des cas si on fait le diagnostic assez tôt et si on a les moyens pour les traiter. C’est d’autant plus jouable que les moyens nécessaires ne sont pas phénoménaux.

C’est encore et toujours une question d’équilibre à trouver dans chaque pays en fonction des capacités variables en moyens humains consacrés à la santé.

C3M : concrètement, quels sont les conditions pour la mise en œuvre d’une formation par simulation ? Comment cela peut se dérouler ?

Pr Bey : Nous sommes impliqué avec C3Medical dans un programme avec la société ADEN (via son offre Akilacare), basée à Shangaï.

Elle propose une offre d’hôpital construit en six mois ! Le module de base correspond à 180 lits et s’adapte en fonction du besoin du pays.

Au final, l’hôpital est performant et durable.

Ce ne sont pas dans des tentes, ni des hôpitaux d’urgence mais de vrais hôpitaux adaptés aux contraintes et enjeux locaux . Nous sommes associés à cela pour la partie formation par la simulation.

Dans cet hôpital, est intégré un module permettant de délivrer de la formation par la simulation avec un espace dédié, des matériels et équipements adaptés, car il ne s’agit pas de chirurgie robotique.

Nous intervenons dans l’apprentissage de pratiques médicales souvent assez basiques, mais orientée sur l’objectif de cet hôpital.

Pendant les 6 mois de la construction, avec les autorités du pays, on identifie :

  • à quoi est destiné cet hôpital,
  • les personnels qui vont y travailler,
  • les besoins de formations complémentaires des équipes, toujours en fonction de l’existant dans le pays et de l’orientation que les autorités souhaitent donner à cet hôpital.

De notre côté, nous nous chargeons de faire un programme de formation complémentaire sur mesure.

On a vu un certain nombre d’établissements magnifiques, souvent très bien équipés, mais sans réflexion préalable sur personnel qui va y travailler …

C’est ce que nous nous souhaitons éviter.

C3M : C’est donc un système très agile.

Pr Bey : Exactement. L’idée est d’avoir une grande souplesse, ne pas s’enfermer dans un carcan en déployant le même système partout le même avec les mêmes compétences.

C’est le meilleur moyen de créer du gâchis.

Les ressources médicales sont des ressources humaines rares qu’il faut potentialiser au mieux et que l’on doit parfaitement orienter sur ce qu’on attend, sur l’objectif de départ.

La partie initiale du projet sont des discussions avec les autorités du pays et la direction de ce futur hôpital.

C’est une étape cruciale puisqu’il faut absolument avoir compris ce qu’ils veulent faire de cet hôpital :

C3M : C’est vraiment du sur-mesure !

Pr Bey : C’est du sur-mesure, dans une de conception très innovante       .

C3M : Innovante de par la célérité de la construction avec ce partenaire et le côté modulaire.

Pr Bey : En effet, cela augmente beaucoup les chances qu’un tel hôpital une fois installé fonctionne et surtout fonctionne rapidement. Il y a d’autres contraintes, mais cette démarche augmente beaucoup les chances de réussite.

J’ai beaucoup voyagé et vu des installations qui ne servent pas complètement de façon optimale. C’est très dommage, parce que de toute façon les moyens, quel que soit le pays d’ailleurs, sont toujours limités.

C3M : Question ressources humaines, comment cela se passe-t-il ?

Pr Bey : Ce sont des ressources humaines qualifiées à l’issue de longues formations… Il faut identifier ce qu’elles peuvent apporter. Cependant, il ne faut pas les « utiliser » pour des choses qui peuvent être faites par d’autres personnes et compétences.

C’est toute cette réflexion d’ensemble qui est innovante.        

C3M : Le concept en lui-même rappelle le proverbe qui dit « comme un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher… »

Pr Bey : « … que de lui apporter des poissons ». Nous sommes bien d’accord. Avec ce type de projet, on est dans une démarche d’accompagnement, d’appropriation, d’aide au bon déroulement des projets locaux répondant aux besoins et attentes du pays.

C3M : Ce que j’apprécie dans cette démarche, c’est vraiment le côté humain au cœur de cette réflexion.

Pr Bey : Pour moi, c’est vital.

C’est capital. Sinon, on ne se serait pas lancé dans ces projets effectivement.

On ne peut être là qu’en appui pour les équipes locales. Il faut donc les aider quand elles sont dans la difficulté.

Dieu sait qu’elles en rencontrent…

Je suis admiratif de ce que ces équipes sont capables de faire dans des conditions qui sont parfois extrêmement difficile. On est là pour soutenir, pour aider, mais en aucun cas pour faire à la place.

C3M : Dernière question Professeur, avez-vous une source à recommander pour en savoir plus sur l’HVL?

Tout simplement le site de l’HVL http://www.hvl.healthcare/ ou la chaine You tube, plus généraliste.